Pour l'exemple...
Fusillé pour l’exemple, Julien Brillant n’est toujours pas mort.
« Peloton, à mon commandement. En joue. Feu ! »
Et Julien Brillant, les yeux bandés, s’écroule avec neuf de ses camarades d’infortune…
Un criminel Julien ? Non, un malchanceux. Il n’a commis aucune forfaiture, aucune faute. Il a toujours obéi aux ordres, même aux plus insensés. Victime du sort qui l’a désigné, et aussi de la folie criminelle de chefs militaires ayant perdu toute mesure de valeur humaine. Quand son nom fut appelé, il savait. Il savait qu’il allait mourir, bien sûr, mais la mort, il l’attendait chaque jour depuis deux ans, au milieu de cette indicible tuerie, parmi la boue, le sang et la chair mêlés. Presque une délivrance.
Oui, mais c’était la guerre, nous étions en 1916, le 26 août exactement, et l’enthousiasme guerrier de 14, chauffé par des décennies de propagande revancharde dès l’école primaire, s’était considérablement élimé au cours des innombrables hécatombes, pour enfin déboucher sur un véritable découragement, un désespoir extrême. Et cette atmosphère lourde de révolte muette pesait fortement sur le régiment de Julien Brillant, comme sur tant d’autres. On aurait tout fait pour sortir de cet enfer de feu et de bestialité, certains se mutilaient volontairement afin de devenir inaptes au combat, bien que cela fut sévèrement puni. Sortir, sortir de ce cauchemar gigantesque, tel était le rêve de ces poilus couverts de saletés de toutes origines.
Et pour Julien le cauchemar venait de se terminer, en quelque sorte. Son régiment avait donné des signes de fatigue et de découragement. Pour tenter de relancer un peu de hargne il fallait faire des exemples. Dix noms de poilus hagards et couverts de vermine, pris au hasard, furent appelés pour être immédiatement conduits au peloton d’exécution, devant les autres camarades médusés. Pour l’exemple.
Des Français fusillant des Français. Quelle tristesse ! Quelle honte ! Environ 650 soldats connurent le sort de Julien Brillant, né à B*** le 18 décembre 1880, fils d’un humble cordonnier de la rue de Luynes. Il avait trente-six ans, marié et père de famille. Cette famille qui devra cacher la vérité pour éviter l’opprobre des bons Français, des patriotes. La veuve n’aura bien sûr pas droit à une pension, comme les nombreuses autres épouses dont le mari était disparu en combattant. Et le nom de Julien Brillant, ne figurera sur aucun monument. Un nom qu’il faut taire, un nom méprisé. Antihéros malgré lui, il sera oublié pendant près d’un siècle.
Son acte de naissance consulté, le décès n’y est pas indiqué. Il ne figure pas au nombre des décès de 1916 sur le registre d’état civil de la commune de B***, comme il devrait normalement s’y trouver notifié.
Administrativement, depuis 1880, Julien Brillant vit toujours…bien que fusillé en 1916. Fusillé pour l’exemple…